Tribune au journal le Monde
« Aidons le peuple cubain à faire de Cuba un pays de liberté »
15 décembre 2021
Dans une tribune au « Monde », Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen, Romain Goupil, cinéaste, Alberto Guadalupe, président de l’Association France pour la démocratie à Cuba, et Ileana de la Guardia, représentante en France du Conseil pour la transition démocratique à Cuba, appellent faire pression sur le gouvernement cubain afin qu’il libère les détenus politiques.
Tribune. Le 11 juillet 2021, des milliers de Cubains ont manifesté dans les rues de plus de soixante villes aux cris de « La patrie et la vie », qui est aujourd’hui l’hymne à la liberté des Cubains contre le slogan castriste « La patrie ou la mort ». Aussitôt, le régime a organisé la répression, confirmant le caractère brutal de la dictature.
L’injonction venait du président Diaz-Canel qui a ordonné à ses partisans d’affronter les manifestants, en déclarant : « L’ordre de combat est donné : révolutionnaires, descendez dans la rue ! », en leur répétant : « Nous convoquons tous les révolutionnaires du pays, tous les communistes. Qu’ils sortent dans la rue partout où vont se produire ces provocations, dès maintenant et tous les autres jours. Qu’ils affrontent les manifestants avec détermination, fermeté et courage ! »
Des milliers de personnes ont été arrêtées, la police a tiré à balles réelles sur la foule, blessant plusieurs manifestants. On déplore la mort du chanteur Diubis Laurencio Tejeda, tué à l’arme à feu le 12 juillet par la police alors que les manifestants chantaient : « Que le sang ne continue pas à couler. Nous voulons penser différemment. Qui vous a dit que Cuba est à vous ? Cuba est à nous tous ! »
Mobilisation internationale pour Maykel Osorbo
Aujourd’hui, plus de quatre mois après cette manifestation, plus de six cents personnes ont été condamnées pour avoir manifesté pacifiquement. C’est le cas notamment de José Daniel Ferrer, président du Conseil pour la transition démocratique, arrêté en sortant de chez lui le 11 juillet et maintenu en prison depuis. Pour le même motif, beaucoup des manifestants ont été jugés arbitrairement et frappés de lourdes condamnations : entre dix et vingt-sept ans d’emprisonnement.
La chanson Patria y Vida, synthèse des revendications de l’opposition et des citoyens à Cuba, a été composée en réaction à la répression du régime contre les membres du mouvement d’artistes contestataires San Isidro lorsqu’ils ont été délogés de leur atelier le 26 novembre 2020 par la police, provoquant un tollé parmi la jeunesse et l’opposition cubaines.
Cette chanson, Patriay y Vida, a immédiatement été censurée par le régime. Maykel Castillo (dit Maykel Osorbo), l’un de ses auteurs, est détenu aujourd’hui sans avoir été jugé ni condamné. Cette ode à la liberté a été récompensée aux Grammy Awards, suscitant une mobilisation internationale pour la libération de Maykel Osorbo et des autres prisonniers politiques et d’opinion à Cuba.
Pour la libération des prisonniers politiques
Cette mobilisation n’a pas faibli. Le 11 juin, une trentaine de partis d’opposition, considérés comme illégaux par le régime, ont créé le Conseil pour la transition démocratique à Cuba (CTDC). Peu de temps après, le 25 juillet, le président du Tribunal suprême populaire de Cuba, Ruben Remigio Ferro, a rappelé que manifester n’était pas un délit ; que c’était même un droit constitutionnel. Le groupe des citoyens d’Archipiélago [un groupe facebook et un compte twitter de dissidents issus, à l’origine des milieux artistiques, ndlr] et le CTDC l’ont pris au mot et exprimé leur intention de manifester le 20 novembre afin de faire aboutir les revendications suivantes : libération des prisonniers politiques ; fin des violences policières et étatiques ; mise en place de moyens démocratiques pour résoudre les différends entre les Cubains ; respect des droits de chacun.
A l’approche de cette manifestation, le régime a très opportunément annoncé que trois jours de manœuvres militaires auraient lieu les 18, 19 et 20 novembre. Les initiateurs de la marche ont alors décidé de l’avancer au 15 novembre. Le régime l’a aussitôt interdite en expliquant que manifester contre le régime était contraire à la Constitution. Ce qui revient à dire que la démocratie est illégale à Cuba. Les personnes qui avaient fait les démarches administratives préalables à cette manifestation ont été harcelées par les autorités. Elles ont été arrêtées, détenues, interrogées et intimidées.
Pour éviter que les Cubains épris de liberté ne sortent dans la rue le 15 novembre, plusieurs dizaines de personnes, parfois des centaines, les ont pris à partie à leur domicile, en les invectivant et en les injuriant sans que la police estime utile d’intervenir. Ces « actos de repudio » (actes de répudiation) visent à ébranler les opposants politiques, à les harceler, tout en mettant en scène une prétendue colère populaire.
La solidarité avec le peuple cubain
Pour leur participation à ces manifestations patriotiques sur commande, les partisans aux ordres du régime sont récompensés par une boîte de nourriture qu’on leur remet à la fin de leur prestation. L’Etat cubain exploite ainsi la misère qu’il engendre. Pour notre part, nous proclamons notre solidarité avec le peuple cubain qui, par des moyens pacifiques, tente d’obtenir sa liberté.
Nous invitons les Français et leurs élus à faire de même afin d’exiger du régime de La Havane la libération sans condition de ces combattants de la liberté et le respect des accords entre l’Union européenne et Cuba, accords censés améliorer la situation des droits de l’homme dans l’île.
Aidons le peuple cubain à faire de Cuba un pays de liberté comme le dit si bien la chanson : « Mon peuple demande la liberté, pas des doctrines. Ne crions pas “La patrie ou la mort” », mais plutôt « La patrie et la vie ».
Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen
Romain Goupil, réalisateur
Alberto Guadalupe, président de l’Association France pour la démocratie à Cuba
Ileana de la Guardia, représentant en France du Conseil pour la transition démocratique à Cuba